NOTRE HISTOIRE
Récit écrit par Michèle Fernandez nous racontant l'histoire du C3V, suite à un entretien avec Conss Pons:
Ce témoignage ne sera pas une chronologie exhaustive, la mémoire est oublieuse, il faudra questionner d’autres membres du CA historique de C3V, il y a des archives (tracts, journaux de C3V, articles de presse, etc.) qui pourraient retracer fidèlement ce que fut cette aventure, et ce qu’elle continue à être… Ce sera donc une parole subjective… avec ses aspérités, ses défenses, ses refoulements, mais le souvenir très vivant d’un collectif chaleureux, solidaire, toujours prêt à se réinventer et à trouver de nouvelles formes d’action pour faire entendre sa voix…
J’ai été porte-parole du collectif pendant dix ans et je m’occupais de la programmation des Rencontres mensuelles.
Il ne faut pas oublier que C3V est un Collectif d’action des Trois vallées… et de ses sources, sur lesquelles la bien nommée société Chèze voulait asseoir son pouvoir en y creusant un grand trou sur 33 hectares. Une mégadécharge sans tri… et située non loin de la sortie Joigny de l’autoroute.
À l’origine, le premier rendez-vous est un appel qui circulait dans nos villages (Champvallon, Senan, Volgré, Villiers-sur-Tholon et Béon) pour une première réunion publique à Béon (on est en 2006, Chirac est au pouvoir, année du CPE, abrogé par Villepin… et un an après le référendum sur le Traité établissant une Constitution européenne, les esprits étaient particulièrement éveillés).
Cet appel, je l’avais trouvé sur le comptoir de La Poste à Senan, fermée depuis… Nos campagnes commençaient à être sacrément dépecées, la pauvreté était tangible, et le discours FN se répandait comme une traînée de poudre, cristallisant exaspération et frustrations.
Nous étions trois de mon village (Senan) présents à cette première réunion publique à Béon… Très vite, à la fin de la réunion, ceux qui veulent s’investir pour faire connaître ce projet dans leur village participent à l’élaboration de l’association. C’est SOS des Trois Vallées. M. Claude Gruet (je sais, ne riez pas… OSS va arriver) a le micro et les informations, nous, habitants des villages alentour, décidons, par cette association, de faire connaître ce projet par des réunions publiques à tous nos villages. Nous sommes 28 au CA, personne ne se connaît, c’est une première prise de contact.
Rien ne se passe pendant une semaine.
La semaine suivante, le sieur Gruet, président de l’association, nous annonce à minuit, après trois heures de réunion sans perspectives, qu’il va aller avec la société Chèze visiter une de leurs installations… en avion. Et toujours pas de réunion publique à l’horizon. Nous sommes estomaqués.
Et c’est là que tout a commencé.
Nous sommes quelques-uns à organiser notre première réunion publique à Senan, avec vidéoprojecteur et débat. Gruet ne supporte pas notre impertinence, la chose lui échappe… et elle échappe donc à Chèze (ils nous semblent bien complices). Puis, sur la lancée, d’autres réunions publiques sont organisées… Nous nous mettons au travail.
Le divorce au sein du CA de SOS des 3 vallées a été houleux, 14 voix contre 14, puis nous étions majoritaires, mais Gruet et ses vieux réacs de Béon (désolée, mais je ne trouve pas d’autres mots, et je me souviens d’un méchant coup de canne de l’un d’entre eux) nous ont écœurés, nous sommes tous partis collectivement… et sans la caisse.
Ils étaient pour le nucléaire, pour l’incinération… et de droite.
C3V est né formellement en juillet 2006. Claude GrOSSet est devenu président, personne ne voulait l’être, et il a apporté d’entrée son expérience en tant que militant aguerri de l’éducation populaire.
Claude Gruet deviendra, lui, maire de Béon quelque temps après, c’est d’ailleurs ce qu’il visait secrètement 🙂
Nous organisons des réunions publiques dans tous les villages, avec de plus en plus de questionnements sur le traitement des déchets – rien n’était trié à l’époque, et c’était enfouissement ou incinération (un peu l’alternative qu’il nous reste en fin de vie, mais nous faisons du bon terreau contrairement à ce que notre société rejette)… Nous avions collectivement une volonté de savoir qui faisait de nous des experts en rudologie (du latin rudus, « décombre, masse non travaillée »), tout autant qu’en vin chaud, anticapitalisme, tartes maison, hydrologie, écologie, Internet, communication, critique de notre système de consommation, etc. Nous avions surtout un désir de gagner contre cette frénésie des puissants qui nous décillait les yeux. Nous affûtions nos armes ensemble, certains fouillaient les dossiers, d’autres organisaient des actions, sans hiérarchie, dans le partage pour défendre une cause commune, un brin de territoire non encore souillé, mais convoité (par Chèze et le maire de Volgré) pour en tirer un pognon de dingue, dirait l’autre.
Nous donnions notre temps, beaucoup de temps. Et nous n’étions pas encore à la retraite…
Je ne sais si c’était tant pour gagner (j’ai dû entendre mille fois, « Mais ça ne sert à rien, ce que vous faites, on aura quand même la décharge », et le découragement nous gagnait parfois) que pour poursuivre la lutte… cette lutte, et la forêt des luttes derrière l’arbre de Chèze.
Nous n’étions pas nombreux, mais nous étions le nombre. Celui qui dérange, qui fouille, qui exhume, qui interpelle, qui imagine joyeusement et fédère par ses valeurs, Ni ici ni ailleurs mais autrement. Et qui dénonce toutes les perversités de cette novlangue entrepreneuriale ultralibérale. Cet Ecopôle, par exemple, qui, avec la complicité des politiques (Soisson, le petit maire de Volgré, le maire de Joigny Auberger), comptait s’installer dans nos contrées perdues entre deux communautés sans résistance pour y enfouir des tonnes de déchets.
Le collectif prend de l’ampleur, de la force et une certaine popularité par des actions coups de poing, festives et symboliques… Je me souviens de la première, notre arrivée fracassante et joyeuse habillés en poubelles avec mégaphone, tandis que les politiques (les maires de nos villages, de Raincourt et toutes les petites huiles censées nous représenter) inauguraient la déchetterie de Guerchy. Nous avions prévenu les médias… et la télé était venue, nous devions être une trentaine en rase campagne… à déranger l’ordre public.
Déranger l’ordre public, le seul moyen d’être entendus, nous avions au moins compris ça.
Nous organisons une première manifestation devant la mairie d’Auxerre. Beaucoup de monde, puis à la mairie d’Aillant… Le jeune Nicolas Soret est avec nous… Une altercation l’oppose au maire de Volgré, Sevin, farouchement pour cette mégadécharge… Ça a failli se terminer en bagarre collective.
Nous organisons en septembre 2007 un méga pique-nique citoyen dans le champ qui jouxtait le fameux terrain, 350 personnes, ça commençait à faire du monde, avec musique et partage… Certains agriculteurs nous soutenaient, pas tous.
Mais nous avions des contacts et des soutiens de toute la gauche, associative et politique (du PS au NPA) de l’Yonne, ainsi que de nombreuses associations et syndicats (entre autres l’Adeny, Attac, la Confédération paysanne, FSU, Snuipp, Sud, les Amapp, Sortir du nuclaire, RESF, la Cimade, Yonnel’autre, la Libre pensée, etc.).
Le collectif grossit en adhésions (près de 350).
Les châtelains ou propriétaires de belles propriétés dans le secteur, qui appartenaient à C3V jusque-là, nous ont lâchés comme de bons Nimby… Nous étions trop engagés politiquement, ils sont partis avec leurs deniers et leur avocat. Bon vent…
Nous avons très vite sorti un petit journal qui était distribué dans toutes les boîtes aux lettres de nos villages et qui circulait sur Internet… pour annoncer nos actions, quelles qu’elles soient, et informer les habitants des avancées de notre lutte administrative et juridique contre le projet Chèze.
Lors de nos apparitions publiques, de nos vins chauds hebdomadaires, nous improvisions des chorales avec des chansons détournées de Brassens, entre autres. Succès garanti !
Manif détournée (anti-écolo) à Joigny, près de 300 personnes, Moraine et Soret sont des nôtres, Auberger nous reçoit, très hautain dans son bureau feutré, il ne nous soutient pas.
2007 – Journée de soutien à C3V à Champvallon avec concert de Barzingault en soirée, beaucoup de monde.
Pour l’enquête publique, dont nous avions peaufiné les doléances, près de 700 personnes sont venues déposer contre ce projet à Volgré… et nous étions tous rassemblés dehors pour fêter comme il se doit l’enterrement du projet Chèze (tracteur décoré, cortège de veuves, et procession dans le village)… Une manière de fêter notre victoire avant l’heure, qui s’achèvera par une soirée au Saint-Patrick à Bleury 🙂
2007-2008 : crise financière mondiale. Les États interviennent pour sauver les banques. Récession, rigueur, etc. Sarkozy est au pouvoir.
2008 : victoire au tribunal administratif sur la forme, mais Chèze n’est pas revenue, nous laissant fort dépourvus 🙂
Localement, soutien à Moraine pendant la campagne des élections municipales. Théâtre Ubu roi sur la place de la future Maison citoyenne… Que des bons souvenirs.
Élection de Moraine à la mairie de Joigny au printemps (à deux voix près).
Double victoire locale donc, en 2008.
Nous avons gagné certes, mais nous pensions que le projet serait présenté une nouvelle fois et restions vigilants… Nous n’avions surtout aucune envie de lâcher quoi que ce soit, l’aventure est trop belle. Nous décidons donc d’ouvrir le Bio commun (approvisionnement par des producteurs locaux, etc.), rue Cortel, nous avions plein de projets sur le bâtiment que nous avions baptisé Maison citoyenne (salle d’expo, cantine bio, organisation de débats, animations sur la place). Moraine vient d’être élu, mais nous apprenons lors de l’inauguration que rien de cela ne sera possible (prétexte : bâtiment historique). En fait, nous sommes trop marqués en gauche.
Nous (le CA, environ une quinzaine de personnes) tenons à bout de bras cette boutique bio, grâce au travail de nos adhérents bénévoles et principalement de Véronique, que nous ne pouvons pas salarier. L’activité nous permet tout juste de payer le loyer de plus de 500 euros, et nous nous épuisons dans des débats sans fin pour sortir de cette impasse. Les subventions annuelles dont nous bénéficions (mairies de Joigny et de Senan) se réduisent à quelques petites centaines d’euros et nous laissent peu de perspectives.
Nous organisons cependant quelques soirées sur la place, notamment pour soutenir les sans-papiers, mis à mal par Sarko.
Le Bio commun n’aura duré que deux ans, le CA décide d’y mettre fin en 2010 et résilie le bail qui nous lie à la mairie, mais nous souhaitons garder le concept de Maison citoyenne pour œuvrer localement à la diffusion de films, à l’organisation de débats sur des sujets d’actualité, de rencontres, etc., sans structure et sans charges donc.
Cela demande beaucoup de travail, une mise en réseau avec toutes les associations et collectifs locaux, et nous avons la volonté d’aller vers la convergence des luttes.
Nous tenons la route, une rencontre par mois, et nous diffusons une jolie plaquette pour faire connaître toutes nos manifestations. La salle Debussy nous est prêtée gracieusement, et nous pratiquons le prix libre. Toutes nos soirées se terminent par un pot partagé, et les contacts se nouent.
Nous participons ensemble aux luttes sociales et écologiques, indissociables selon nous.
En 2010, le passage à la retraite à 62 ans secoue le pays. Nous contribuons au mouvement social et nous organisons une soirée-débat avec la venue de Gérard Filoche et Bernard Friot, la salle Jacque-Brel de Migennes est pleine à craquer (nous ne pouvons pas avoir toujours Debussy et Meyroune est maire de Migennes et nous ouvre ses portes).
En mai 2010, accueil extraordinaire à Joigny de la marche des sans-papiers Paris-Nice (plus d’une centaine, tous black), auquel nous participons grandement (barbecue géant, repas sous la halle du marché, distribution de vêtements, petit déjeuner…), avec d’autres associations. Moraine les reçoit en mairie avec un discours historique de bienvenue évoquant Martin Luther King… Ça fait du bien !
Mars 2011, accident nucléaire de Fukushima… Organisation de rencontres avec Sortir du Nucléaire, etc.
Tous les étés, nous participons au Garden Guinguette à Joigny, avec la guinguette Maison citoyenne, très fréquentée, qui est le rendez-vous convivial où l’on se restaure bio et local à prix coûtant (c’est nous qui cuisinons).
Nous faisons venir sur Joigny nombre de réalisateurs, d’auteurs et de personnalités, la liste serait trop longue… Nous pouvons nous enorgueillir d’avoir été précurseurs sur bien des courants de pensée, notamment en 2015 sur le premier livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer…
Le 4 juillet 2015, nous organisons le premier Alternatiba de Bourgogne au parc du Chapeau, en marge du garden Guinguette, avec Geneviève Azam comme marraine… Gros boulot mais jolie réussite.
2016, nous fêtons les 10 ans de C3V-Maison citoyenne avec le spectacle des Divagabondes autour d’une paella.
Je quitte le CA de C3V, mais j’en reste adhérente.
Pourquoi ?
J’ai sacrifié à mi-temps mon activité professionnelle pour pouvoir organiser nos rencontres mensuelles, il est temps de passer la main et de retrouver un revenu décent pour avoir une retraite décente. Le bénévolat militant a ses limites…
[…]
2024, C3V est toujours là… une projection mensuelle est organisée au cinéma Agnès-Varda et le collectif continue avec d’autres à œuvrer pour une convergence des possibles sur bien des terrains. L’aventure continue et je m’en réjouis.
Michèle Fernandez